- OVIDE
- OVIDEOvide appartient à la génération qui vécut le passage du premier siècle avant J.-C. au premier siècle après. Même si cette époque tout entière a reçu la dénomination de siècle d’Auguste, Ovide fut ce que H. Fraenkel appela «un poète entre deux mondes». Vie en province, vie à Rome, vie d’exil; ce sont trois étapes très simples qui ne rendent pas compte de la complexité d’une œuvre originale dans sa variété et sa cohérence. La logique de la «philologie» a longtemps relégué le poète au second plan, pour cause de verbiage, de rhétorique, de facilité, etc. Mais il sort peu à peu de son ère de malédiction grâce à des chercheurs qui ne se contentent plus de classifications périmées. Et sa vie posthume a pris des formes diverses dont le déchiffrement n’est pas encore terminé. De Sénèque le Rhéteur, disant ses qualités de bon étudiant, à Picasso, illustrant de son trait hardi certains épisodes des Métamorphoses , beaucoup d’artistes et de penseurs ont travaillé au devenir d’Ovide.Un poète érotiquePublius Ovidius Naso est né à Sulmone, petite ville qui garde son souvenir attendri dans l’immuable décor des Abruzzes. Il étudia à Rome où il fut, selon le témoignage de Sénèque le Père, l’élève brillant de rhéteurs célèbres. Il fit, avec son ami Aemilius Macer, le classique voyage en Grèce. Il aima Rome et tout ce qu’elle offrait alors à qui cherchait distractions, cercles littéraires et systèmes de pensée. Il se maria trois fois. Pour une raison inconnue et controversée, Auguste l’envoya en exil à Tomes, sur les bords du Pont-Euxin, dans l’actuelle Dobroudja; et la mort du souverain ne mit pas fin à cette relégation qu’il dut subir jusqu’en 17, année où le poète éloquent et sociable qu’il avait été mourut fort isolé et déprimé.Quoique admirateur de Lucrèce et de Virgile, Ovide suivit d’abord la trace de Cornelius Gallus en écrivant comme Properce et Tibulle des distiques élégiaques. Corinne – dont le nom domine les Amores – n’a pas la personnalité de Lesbie, de Cynthie ou de Délie; c’est plutôt une image de la femme, ou des femmes qu’il connaît bien. En cinq livres, puis en trois, il définit son écriture personnelle et traite avec une aisance quelquefois teintée d’ironie des thèmes connus qu’il renouvelle par une sorte de distanciation: l’attente devant la porte fermée, la maladie de la femme aimée, la coquetterie, la joie du premier triomphe, les jalousies, les turpitudes, l’amitié, rien n’est peut-être anecdotiquement véridique, mais tout sonne juste, même le poème de regret sur la mort de Tibulle. L’amour est une sorte de militia ; Cupidon s’amuse avec la fantaisie de la jeunesse; on entrevoit le souvenir de Sulmone. Les Héroïdes , lettres en vers de femmes abandonnées, auront une longue postérité en langue latine ou vulgaire. Briséis, Médée, Phèdre, Laodamie, gardent leur accent épique ou tragique tout en pratiquant la rhétorique élégiaque du pressentiment d’abandon défini après coup. Ovide a lu ses classiques grecs; et même Sapho, à qui il prête une lettre à Phaon. Mais toutes ces femmes, et les hommes qui leur répondent dans la deuxième série de lettres, ont quelque chose des femmes du siècle d’Auguste et prennent, par le sentiment pressant de leur isolement, une dimension plus humaine que mythique. Par goût du jeu, mais aussi par une sorte d’attirance profonde pour le changement, Ovide s’essaie ensuite à une parodie des artes à la mode, en écrivant l’Ars amatoria et ses Remedia amoris quelque peu «homéopathiques». Avec une verve soutenue par son expérience et par le sens qu’il a de l’observation, il dit, sur un ton faussement doctoral, où chercher des conquêtes (théâtre, cirque, etc.), comment plaire, comment plaire longtemps; et, paradoxalement, il le dit même aux femmes. On a souvent cherché là de la grivoiserie; on a multiplié les éditions «illustrées»; pourtant, rien n’est vraiment scabreux, parce que la Muse et la liberté protègent leur poète.Musée imaginaire de la mythologieIci et là, dans ce premier groupe d’œuvres, apparaissaient des souvenirs de la mythologie grecque. Les Métamorphoses – quinze livres d’hexamètres dactyliques – sont l’épopée du mythe gréco-latin, en même temps que celle de l’amour et surtout du devenir. Justifiée au livre XV par un discours du philosophe Pythagore sur l’interdiction de manger de la viande, l’évolution du monde et la métempsychose, l’entreprise d’Ovide a été de rassembler en les classant, selon une chronologie légendaire allant du chaos et de la création au règne d’Auguste, toutes les légendes – plus souvent lointaines ou étrangères que fondamentalement grecques ou romaines – concernant la plupart du temps des métamorphoses d’êtres humains en plantes, animaux, astres, pierres, etc. Ainsi se trouvent réunis Lycaon, Deucalion, Phaéton, Narcisse, Hermaphrodite, Arachné, Persée et Andromède, Jason et Médée, Circé, Dédale et Icare, Énée, Romulus, Numa, César, etc. Très épris de baroquisme, Ovide sait voir et faire voir le lent déroulement de la transformation; il manifeste ici, à la fois, le goût d’une forme originale de merveilleux et le sentiment aigu de ce qu’il y a de profondément vital dans la métamorphose. En même temps, il travaille aux Fasti , le poème du calendrier romain. Il a commenté les fêtes des six premiers mois de l’année avec un souci constant de l’étiologie, des mythes et des rites qu’il décrit très minutieusement, en donnant la place qui leur revient à Janus, à Cérès, à Vénus, et sans renoncer à son intérêt majeur pour les problèmes de l’amour. Cette œuvre n’a pas été achevée.L’exil et la survieUne dizaine d’années après la publication de l’Art d’aimer , Auguste semble découvrir l’immoralité de ce poème et décide d’exiler son auteur. Il s’agit visiblement d’un prétexte destiné à voiler des motifs sur lesquels on a fait beaucoup d’hypothèses et qui sont probablement politico-religieux. En exil, la poésie d’Ovide s’intériorise. Les Tristia et les Epistulae ex Ponto (ou Pontiques ) se présentent comme des épîtres en distiques élégiaques adressées à Auguste, à la femme du poète, à ses amis. On y découvre ce que la poésie du «moi» peut devenir pour un latin privé de l’encadrement romain. Le voyage par mer dans la tempête, la révolte, les prières réitérées, la fidélité et l’infidélité des amis, la rigueur du pays gétique, la lente mais inéluctable perdition dans l’ennui d’un dépaysement trop intense pour être pittoresque, donnent à ces poèmes leur tonalité. Cependant, on y retrouve aussi les souvenirs du passé, de Sulmone, du printemps romain, des connivences littéraires. Tous ces motifs s’imbriquent et se rejoignent en de mélodieuses variations qui ne sont ressassements que pour un lecteur inattentif.La «gloire» d’Ovide fut celle qu’il attendait. Le Moyen Âge lui fit, particulièrement aux XIIe et XIIIe siècles, une légende de sagesse et de sainteté quelquefois teintée de magie. On l’a lu, recopié, expliqué, commenté, déformé, interprété, moralisé. Les ouvrages didactiques de langue latine l’utilisent comme une autorité à l’instar de Virgile. Les poètes imitent son style, empruntent sa mythologie et sa connaissance multiforme de l’amour ou du changement. Marbode, Baudri de Bourgueil, Alain de Lille, Boccace, Dante, Chaucer, Marie de France, Chrétien de Troyes, les auteurs du Roman de la rose , etc., lui ont pris des formes et des thèmes comme plus tard l’ont fait les auteurs de la Renaissance, dans toutes les langues. Beaucoup d’artistes, de peintres surtout, se sont souvenus des légendes qu’il avait contées. Certains de ses personnages ont donné leur nom à des complexes ou à des catégories psychologiques... Tout cela a tenu, sans doute, à ce que furent son sens de l’humain et son amour de la poésie.Ovide(en lat. Publius Ovidius Naso) (43 av. J.-C. - 17 ou 18 apr. J.-C.) poète latin. Il a séduit la société mondaine de son temps par des oeuvres à caractère érotique, comme l'Art d'aimer, mais son chef-d'oeuvre reste les Métamorphoses, poème épique et mythologique. Relégué à vie en 8 apr. J.-C., il mourut en exil à Tomes (auj. Constanta, en Roumanie), où il composa des élégies: les Tristes et les Pontiques (nom qui fait référence au Pont-Euxin).
Encyclopédie Universelle. 2012.